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Krishnamurti, l'accomplissement 
 
 
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interview

"Krishnamurti en questions"  
De la nécessité d'un transmutation de masse de l'humanité pour sa survie dans le monde ! 
extraits de "Quelles sont vos préoccupations essentielles ?" du livre "Krishnamurti en questions" ..:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /> 
 
 
Jonas Salk : D'accord, partons de là – de là où nous sommes, d'ici même. Que faisons-nous ?  
 
Krishnamurti : Si je ne commence pas à partir d'ici même, mais de là-bas, je ne peux rien faire. Je commence donc ici même. Et je demande : qui est ce « moi » qui déploie tant d'efforts, qui se bat pour tout cela ? Qui est le « je », qui est l'ego ? Qu'est-ce qui me pousse à agir de la sorte, à réagir comme je le fais ? Vous suivez ?  
 
Jonas Salk : Oh oui, je vous suis parfaitement.  
 
Krishnamurti : Ainsi, je commence à me voir vraiment, pas de manière théorique, mais à travers le miroir des relations que j'entretiens, avec ma femme, avec mes amis; je vois comment j'agis, comment je pense, et dans cette relation, je commence à voir ce que je suis.  
 
Jonas Salk : Oui, on ne se voit qu'à travers le reflet que nous renvoie l'autre.  
 
Krishnamurti : À travers la relation. Elle peut être empreinte d'affection, de colère, de jalousie. Je découvre, dans tout cela, la créature monstrueuse qui se cache en moi - y compris l'idée selon laquelle il y a en moi quelque chose de hautement spirituel : je commence donc à faire des découvertes. Je découvre les illusions et les mensonges dans lesquels a vécu l'homme. Et dans cette relation, je vois que si je veux changer je brise le miroir. Ce qui signifie que je mets en pièces tout le contenu de ma conscience. Et de tout cela, de ce contenu réduit en miettes, jaillit peut-être l'amour, la compassion, l'intelligence. Il n'est d'autre intelligence que celle de la compassion.  
 
Jonas Salk : Alors, puisque nous sommes d'accord sur ce que pourrait être l'ultime solution, et sur le fait que c'est ici et maintenant qu'il nous faut commencer...  
 
Krishnamurti : Oui, c'est tout de suite qu'il faut changer, il ne faut pas laisser l'évolution tout ralentir.  
 
Jonas Salk : L'évolution peut commencer maintenant.  
 
Krishnamurti : Oui, si vous voulez, on peut le dire en ces termes. L'évolution au sens où à partir de tout ceci, on arrive à quelque chose qui échappe à toute projection de la pensée.  
 
Jonas Salk : Quand je dis que l'évolution peut commencer maintenant, je parle d'un phénomène de mutation.  
 
Krishnamurti : Une mutation — je suis d'accord. La mutation, ce n'est pas la même chose que l'évolution.  
 
...  
 
Jonas Salk : Vous dites, en fait, que nous sommes des êtres à la fois individualisés et reliés au reste de l'humanité.  
 
Krishnamurti : Non, je dis que vous n'êtes pas un individu. Votre pensée ne vous appartient pas en propre, votre conscience non plus, car tous les êtres humains souffrent, tous passent par de terribles épreuves, des bouleversements, des angoisses, des tortures; tous les êtres humains aux quatre coins du monde en passent par là. Nous sommes donc des êtres humains; alors, au lieu de dire : « Je suis un être humain distinct qui est lié à d'autres êtres humains », disons : « Je suis l'humanité tout entière ». Et si je vois ce fait, je ne tuerai jamais personne.  
 
Jonas Salk : Quel contraste frappant avec qui se passe aujourd'hui !  
 
Krishnamurti : Ce qui se passe aujourd'hui ? Je suis un individu, je dois satisfaire mes propres désirs, mes besoins, mes instincts, que sais-je encore, et c'est de là que vient le chaos.  
 
Jonas Salk : Nous cherchons donc à nous transformer, à passer d'un état à un autre.  
 
Krishnamurti : Mais on ne peut pas se transformer.  
 
Jonas Salk : Bon, alors que peut-on faire ?  
 
Krishnamurti : Changer, subir une mutation. On ne peut pas passer d'une forme à une autre. Il vous faut donc voir cette vérité – à savoir que vous êtes l'humanité tout entière. Et alors, monsieur, quand vous le voyez, que vous le sentez – permettez-moi l'expression – dans vos tripes, dans vos veines, alors tout votre comportement, tout votre mode de vie change. La relation que vous instaurez alors ne concerne pas deux images en lutte l'une contre l'autre. C'est une relation vivante, sensible, pleine, inondée de beauté. Mais nous voici à nouveau revenus à l'exception.  
 
...  
 
Krishnamurti : Et la compassion ne saurait être élaborée par la pensée.  
 
Jonas Salk : Elle existe, un point c'est tout.  
 
Krishnamurti : Mais comment peut-elle exister si j'ai la haine au coeur, si je veux tuer quelqu'un, si je me lamente sur mon sort ? Il faut être affranchi de tout cela pour que naisse cette « autre chose ».  
 
Jonas Salk : Je reviens à présent à ces êtres exceptionnels, qui font l'objet de toute mon attention. Ces êtres-là ont-ils de la haine au fond du cœur ?  
 
Krishnamurti : Mais monsieur, c'est comme le soleil, le soleil n'est ni à vous ni à moi. Nous le partageons. Mais dès l'instant où c'est mon soleil, tout devient si puéril. Donc, vous ne pouvez qu'être comme le soleil, me donner la compassion, l'amour, l'intelligence, et rien d'autre – sans jamais dire : « Faites ceci, ne faites pas cela » – car sinon je tombe dans le piège que nous tendent toutes les religions, toutes les Églises. La liberté, monsieur, cela veut dire être sorti de la prison – la prison où l'humanité s'est enfermée elle-même. Et vous qui êtes libres, soyez simplement là. C'est tout. Il n'y a rien d'autre que vous puissiez faire.  
 
Jonas Salk : Ce que vous dites là me paraît extrêmement positif, extrêmement important et d'une grande portée. Si j'entends bien, vous dites qu'il y a des gens, qu'il existe un groupe d'individus qui possèdent ces qualités propres à susciter quelque chose qui pourrait aider toute l'humanité.  
 
Krishnamurti : Mais, voyez-vous, tant de notions ont cours – je ne m'y attarderai pas, cela nous éloignerait trop du sujet – selon lesquelles il existe des gens qui sont là pour aider les autres (et non pour les guider), des gens qui vous disent ce qu'il faut faire, que l'on tombe très vite dans l'absurde. Alors qu'il s'agit simplement d'être comme le soleil, comme l'astre solaire diffusant la lumière. On s'assoit au soleil si l'on en a envie; dans le cas contraire, on reste à l'ombre.  
 
Jonas Salk : Voilà donc de quel genre d'illumination il est question.  
 
Krishnamurti : Voilà effectivement ce qu'est l'illumination. 
 
............................................. 
 
Carlos Suarès : Pouvez-vous, en une phrase, me donner l’essentiel de ce que vous vous proposez de faire ? 
 
Krishnamurti : Déconditionner la totalité de la conscience. 
 
Carlos Suarès : Vous voulez dire que vous demandez à chacun de déconditionner l’absolue totalité de sa propre conscience ? Permettez-moi de vous dire que ce qui déconcerte le plus, dans votre enseignement, c’est votre insistante affirmation que ce décondi- tionnement total de la conscience n’a besoin d’aucun temps. 
 
Krishnamurti : Si c’était un processus évolutif, je ne l’appele rais pas mutation. Une mutation est un changement d’état brusque. 
 
La mutation psychologique n’est pas ce que vous croyez 
Carlos Suarès : Je n’imagine pas un "mutant", c’est-à-dire un homme changeant d’état de conscience, qui n’emporterait pas avec lui la résultante de tout le passé. L’homme modifie le milieu et le milieu le modifie... 
 
Krishnamurti : Non : l’homme modifie le milieu et le milieu modifie telle partie de l’homme qui est branchée sur la modification du milieu, non l’homme tout entier, dans son extrême profondeur. Aucune pression extérieure ne peut faire cela : elle ne modifie que des parties superficielles de la conscience. Aucune analyse psychologique ne peut non plus provoquer la mutation car toute analyse se situe dans le champ de la durée. Et aucune expérience ne peut la provoquer, quelque exaltée et« spirituelle » qu’elle soit. Au contraire, plus elle apparaît comme une révélation, plus elle conditionne. Dans les deux premiers cas - modification psychologique produite par l’analyse ou introspection, et modification produite par une pression extérieure - l’individu ne subit aucune transformation profonde : il n’est que modifié, façonné, réajusté, de manière à être adapté au social. 
 
Dans le troisième cas. modification amenée par une expérience dite spirituelle, soit conforme à une foi organisée, soit toute personnelle, l’individu est projeté dans l’évasion que lui dicte l’autorité de quelque symbole. 
 
Dans tous les cas il y a action d’une force contraignante prenant appui sur une morale sociale, c’est-à-dire un état de contradiction et de conflits. Toute société est contradictoire en soi. Toute société exige des efforts de la part de ceux qui la constituent. Or contradiction, conflit, effort, compétition sont des barrières qui empêchent toute mutation, car mutation veut dire liberté. 
 
Carlos Suarès : D’où les évasions dans les symboles ? 
 
Krishnamurti : II n’y a d’images symboliques que dans les parties inexplorées de la conscience. Même les mots ne sont que des symboles. Il faut crever les mots. 
 
Carlos Suarès : Mais les théologies... 
 
Krishnamurti : Laissons là les théologies. Toute pensée théologique manque de maturité. 
 
Ne perdons pas le fil de notre entretien. Nous en étions à l’expérience, et nous disions que toute expérience est conditionnante. En effet, toute expérience vécue - et je ne parle pas seulement de celles dites spirituelles - a nécessairement ses racines dans le passé. 
 
Qu’il s’agisse de la réalité ou de mon voisin, ce que je reconnais implique une association avec du passé. Une expérience dite spirituelle est la réponse du passé à mon angoisse, à ma douleur, à ma peur, à mon espérance. Cette réponse est la projection d’une compensation à un état misérable. Ma conscience projette le contraire de ce qu’elle est, parce que je suis persuadé que ce contraire exalté et heureux est une réalité consolante. Ainsi, ma foi catholique ou bouddhiste construit et projette l’image de la Vierge ou du Bouddha, et ces fabrications éveillent une émotion intense dans ces mêmes couches de conscience inexplorées qui, l’ayant fabriquée sans le savoir, la prennent pour la réalité. Les symboles, ou les mots, deviennent plus importants que la réalité. Ils s’installent en tant que mémoire dans une conscience qui dit : « Je sais, car j’ai eu une expérience spirituelle. » Alors les mots et le conditionnement se vita- lisent mutuellement dans le cercle vicieux d’un circuit fermé. 
 
Carlos Suarès : Un phénomène d’induction ? 
 
Krishnamurti : Oui. Le souvenir de l’émotion intense, du choc, de l’extase engendre une aspiration vers la répétition de l’expérience, et le symbole devient la suprême autorité intérieure, l’idéal vers lequel se tendent tous les efforts. Capter la vision devient un but ; y penser sans cesse et se discipliner , un moyen. Mais la pensée est cela même qui crée une distance entre l’individu tel qu’il est et le symbole ou l’idéal. Il n’y a de mutation possible que si l’on meurt à cette distance. La mutation n’est possible que lorsque toute expérience cesse totalement. L’homme qui ne vit plus aucune expérience est un homme éveillé. Mais voyez ce qui se passe partout : on recherche toujours des expériences plus profondes et plus vastes. On est persuadé que vivre des expériences, c’est vivre réellement. En fait, ce que l’on vit n’est pas la réalité, mais le symbole, le concept, l’idéal, le mot. Nous vivons de mots. Si la vie dite spirituelle est un perpétuel conflit, c’est parce qu’on y émet la prétention de se nourrir de concepts comme si, ayant faim, on pouvait se nourrir du mot « pain ». Nous vivons de mots et non de faits. Dans tous les phéno. mènes de la vie, qu’il s’agisse de la vie spirituelle, de la vie sexuelle, de l’organisation matérielle de nos affaires ou de nos loisirs, nous nous stimulons au moyen de mots. Les mots s’organisent en idées, en pensées et, sur ces stimulants, nous croyons vivre d’autant plus intensément que nous avons mieux su, grâce à eux, créer des distances entre la réalité (nous, tels que nous sommes) et un idéal (la projection du contraire de ce que nous sommes). Ainsi, nous tournons le dos à la mutation. 
 
Mourez au temps, aux systèmes, aux mots 
 
Carlos Suarès : Récapitulons. Tant qu’existe dans la conscience un conflit, quel qu’il soit, il n’y a pas mutation. Tant que domine sur nos pensées l’autorité de l’Église ou de l’État, il n’y a pas mutation. Tant que notre expérience personnelle s’érige en autorité intérieure, il n’y a pas mutation. Tant que l’éducation, le milieu social, la tradition, la culture, bref notre civilisation, avec tous ses rouages, nous conditionne, il n ’y a pas mutation. Tant qu’il y a adaptation, il n’y a pas mutation. Tant qu’il y a évasion, de quelque nature qu’elle soit, il n’y a pas mutation. Tant queje m’efforce vers une ascèse, tant que je crois à une révélation, tant que j’ai un idéal quel qu’il soit, il n’y a pas mutation. Tant que je cherche à me connaître en m’analysant psychologiquement, il n’y a pas mutation. Tant qu’il y a effort vers une mutation, il n’y a pas mutation. Tant qu’il y a image, symbole, ou des idées, ou même des mots, il n’y a pas mutation. En ai-je assez dit ? Non pas. Car, parvenu à ce point, je ne peux qu’être amené à ajouter : tant qu’il y a pensée, il n’y a pas mutation. 
 
Krishnamurti : C’est exact. 
 
Carlos Suarès : Alors, qu’est-ce que cette mutation dont vous parlez tout le temps ? 
 
Krishnamurti : C’est une explosion totale à l’intérieur des couches inexplorées de la conscience, une explosion dans le germe ou, si vous voulez, dans la racine du conditionnement, une destruction de la durée. 
 
Carlos Suarès : Mais la vie même est conditionnement. Comment peut-on détruire la durée et ne pas détruire la vie elle-même ? 
 
Krishnamurti : Vous voulez réellement le savoir ? 
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Carlos Suarès : Toutes les religions préconisent quelque forme de prière, quelque méthode de contemplation en vue d’entrer en communion avec une réalité supérieure, dont le nom, Dieu, Atman, Cosmos, etc. varie. Par quel acte religieux procédez-vous ? Est-ce que vous priez ? 
 
Krishnamurti : La répétition de mots sanctifiants calme un esprit agité en l’endormant. 
 
La prière est un calmant qui permet de vivre à l’intérieur d’un enclos psychologique sans éprouver le besoin de le mettre en pièces, de le détruire. Le mécanisme de la prière, comme tous les mécanismes, donne des résultats mécaniques. Il n’existe pas de prière capable de transpercer l’ignorance de soi. Toute prière adressée à ce qui est illimité présuppose qu’un esprit limité sait où et comment atteindre l’illimité. Cela veut dire qu’il a des idées, des concepts, des croyances à ce sujet, et qu’il est pris dans tout un système d’explications, dans une prison mentale. Loin de libérer, la prière emprisonne. Or, la liberté est l’essence même de la religion, dans le vrai sens de ce mot. Cette essentielle liberté est déniée par toutes les organisations religieuses, en dépit de ce qu’elles disent. Loin d’être un état de prière, la connaissance de soi est le début de la méditation. Ce n’est ni une accumulation de connaissances sur la psychologie, ni un état de soumission dite religieuse, où l’on espère la grâce. C’est ce qui démolit les disciplines imposées par la Société ou l’Église. C’est un état d’attention et non une concentration sur quoi que ce soit de particulier. Le cerveau étant tranquille et silencieux observe le monde extérieur et ne projette plus aucune imagination ni aucune illusion. Pour observer le mouvement de la vie, il est aussi rapide qu’elle, actif et sans direction. Alors seulement, l’immesurable, l’intemporel, l’infini peut naître. C’est cela, la vraie religion. 
 
 
 

 

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Modifié en dernier lieu le 19.01.2010
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